La science-fiction n’est pas avare de scenarii sur l’avenir de l’humanité confrontée aux dérèglements climatiques. Sécheresse, gaz mortels, glaciation, épidémies… beaucoup d’auteurs se sont penchés sur ce que pourraient être les conditions de vie (ou de survie) à plus ou moyen long terme. C’est notamment le cas du film Snowpiercer qui explique comment en propageant dans l'atmosphère un gaz révolutionnaire censé apporter une réponse au réchauffement climatique, les autorités mondiales ont provoqué une nouvelle ère glaciaire où toute forme de vie a été anéantie. Ou presque.
Mais ces films d’anticipation ne sont pas toujours si éloignés de la réalité. En effet, l’idée de refroidir la planète artificiellement gagne du terrain, c’est ce qu’on appelle la géo-ingénierie. C’est peut-être la solution qui nous sauvera demain de l’inévitable réchauffement climatique qui pèse de plus en plus sur l’avenir de notre planète. Certes, la recherche sur un refroidissement de la Terre fait actuellement l’objet de nombreux débats tant les risques qu’elle comporte pour la santé, pour les écosystèmes et pour notre sécurité sont importants et sans doute imprévisibles.
Alors, pourquoi en vient-on à se dire qu’il faut modifier le climat ainsi ? Est-ce que cela relève de pratiques réalistes ou de la science-fiction ? Est-ce réellement une solution pour limiter le réchauffement ou juste un pari dangereux ? Décryptons ensemble ces nouveaux enjeux.
Comment définir la géo-ingénierie ?
La géo-ingénierie est l'ensemble des techniques qui visent à manipuler et modifier le climat et l'environnement de la Terre. On cherche à agir sur les causes du réchauffement climatique, c’est-à-dire la concentration des gaz à effets de serre et en particulier de Co2 dans l’atmosphère en venant le capturer. On vient donc modifier la composition de l’atmosphère. On cherche aussi à agir sur les conséquences du réchauffement en évitant l’augmentation de la température moyenne globale, en agissant sur la quantité de rayons solaires reçus par la terre. Cette idée fait suite à la crainte que les changements climatiques deviennent tellement importants que des effets graves soient dorénavant inévitables, et qu’il faille agir de manière non plus préventive mais corrective. Globalement, les techniques pour freiner ou stopper le réchauffement climatique peuvent être classées en deux grandes familles :
(1) c’est tout simplement l'élimination du dioxyde de carbone dans l'atmosphère en tant qu'étant l'une des causes importantes du réchauffement climatique, c'est-à-dire en diminuant la quantité de l'un des gaz à effet de serre de l'atmosphère
(2) La seconde famille, concerne, elle, le contrôle du rayonnement solaire atteignant la Terre, de manière à compenser certains effets de l'effet de serre en réduisant la quantité de rayonnement solaire absorbée par le système.
La capture de carbone, mythe ou réalité ?
En réalité, cette technologie existe depuis longtemps, depuis les années 1970. Les grands groupes pétroliers et gaziers ont été précurseurs et maitrisent toute la chaine logistique permettant de capter le carbone, et de le transporter dans les pipelines pour le stocker. Ce qui est sûr également, c’est que pour l’heure, pour eux, ce n’est pas assez rentable de le faire. Le prix de la tonne de Co2 n’est pas assez élevé pour encourager les différents acteurs à déployer cela à plus grande échelle. Pour autant, dans la trajectoire de neutralité carbone à horizon 2050 adoptée par de nombreux pays et les grands acteurs, et en particulier toute la filière pétro-gazière, il sera être nécessaire de déployer cette technologie si on veut atteindre les objectifs définis.
Aujourd’hui, il semblerait que nous sommes d’ores et déjà entrés dans une phase de déploiement préliminaire avec différents projets qui sont à l’œuvre à travers le monde. D’abord aux Etats-Unis, qui sont leaders sur la question, mais aussi en Europe ou en Australie. Nous en sommes encore aux balbutiements. Cela étant dit, ces projets sont initiés de manière très sérieuse, puisque certaines analyses du GIEC prennent en compte ces technologies, comme le BECS (Bio-ingénierie avec capture et stockage du carbone) qui repose aussi sur la capacité à capturer et à stocker du carbone.
De nouvelles technologies pour tous ?
Le bon sens voudrait qu’on commence naturellement par les émissions qu’on ne peut remplacer par une autre source énergétique. On les retrouve notamment dans les industries lourdes avec l’aluminium par exemple... Elles pourraient être prioritaires et il sera nécessaire pour cela de mettre en place un cadrage réglementaire qui permettra de définir quels sont les acteurs qui pourront déployer le dispositif technologique. En revanche, pour toutes les autres activités, il sera important de veiller à ce qu’elles continuent de s’inscrire dans les objectifs fixés et dans la dynamique de transition écologique en ayant recours à des sources énergétiques alternatives. Aujourd’hui, pour rappel, il n’y a pas de cadre réglementaire et ce sont les différents acteurs qui décident s’ils annexent ou pas ce type de dispositif.
L’enjeu sera donc, et c’est justement un des risques identifiés de l’émergence de ces technologies, à ne pas s’exonérer des impératifs de décarbonation, simplement parce qu’on dispose de cette technologie. A ce titre, ce qui s’est passé dans le cadre de l’accord de paris sur la COP 26 illustre bien cette problématique : elle interdisait tout investissement vers l’étranger dans de nouveaux projets d’énergies fossiles certes, mais un astérisque donnait la possibilité de le faire si un dispositif de bio énergie est annexé.
Voilà donc un défi à relever : le développement de la bio-ingénierie ne doit pas être un gage pour permettre de continuer à développer des activités polluantes. Il sera indispensable de mettre des garde-fous, des guides-line et des procédures pour encadrer son développement.
Agir sur les rayons du soleil
Dans ce cas, l’objectif est de bloquer une certaine quantité de rayons solaires, en empêchant les rayons du soleil de pénétrer dans l’atmosphère. Pour cela il y a différentes technologies qui sont en cours de développement.
La première consiste à injecter des aérosols, de la poudre de calcium en encore du dioxyde de soufre, dans la stratosphère, entre 15 et 50 km d’altitude. C’est une sorte de ballon ou d’avion qui sera envoyé pour diffuser ces particules chimiques qui formeront une sorte de voile miroir qui va venir refléter directement les rayons solaires vers l’espace. Ce n’est plus de la science-fiction mais bien une réalité, car des projets sont en cours de développement. Aujourd’hui, plusieurs projets, aux Etats-Unis notamment, ou en Grande Bretagne, sont passés à une échelle d’expérimentation. Le premier, c’est le projet appelé SCOPEX, basé à Harvard, et financé par Bill Gates, qui souhaite mieux mesurer les conséquences de l’injection de ces particules dans la stratosphère. L’argument principal est de dire que les modèles mathématiques sont trop limités et qu’il est désormais nécessaire de passer à une expérimentation à échelle réelle pour pouvoir améliorer les modèles et mieux évaluer ainsi les impacts de cette injection sur la composition de la stratosphère.
Concrètement, Il faut s’imaginer cela comme une petite couche grise, tel un petit nuage qui va se former. Ce nuage va rester en altitude et va venir bloquer les rayons solaires qui pénétraient auparavant. Ainsi, la température est refroidie sur le territoire sur lequel sera diffusé ces particules et si on réplique cela à différentes échelles et sur différentes localités, il sera possible de multiplier le potentiel de refroidissement.
Quand la nature inspire la science…
Cette technologie a été inspirée tout simplement par l’observation de phénomènes naturels. Par exemple, en 1991, on a assisté à une éruption volcanique aux philippines, qui a fait baisser d’environ à 0,6 degrés Celsius pendant 1 an la température moyenne globale. C’est la diffusion de particules pendant l’éruption volcanique qui a masqué les rayons du soleil. Grâce à cet événement, les scientifiques ont pu observer que ce type de phénomène avait une capacité à refroidir. Le projet SCOPEX s’inspire directement de cela, et vient essayer de répliquer ce phénomène naturel.
Des premières expérimentations à des stades différents…
Les premières expérimentations ont malheureusement dû être retardées pour plusieurs raisons. Il y a eu une première expérimentation qui était programmée en Suède en 2021, pendant le premier confinement. Elle a été bloquée au dernier moment à la suite de la mobilisation des peuples indigènes Samis qui vivent sur le territoire où devait se tenir cette expérimentation - ils n’avaient pas été consultés au préalable. Cela a donné lieu à de grandes manifestations afin de bloquer le processus d’expérimentation. Aujourd’hui, en pause, le projet a été reporté et un processus de consultation a enfin été mis en place. Les enjeux sont déjà de déterminer comment associer les populations concernées et comment appréhender la question de l’acceptabilité de ces technologies ?
Entre temps, à côté de SCOPEX qui est le projet le plus connu, il y a d’autres projets qui se développent, aux Etats-Unis notamment, encadrés par le gouvernement américain. Notamment, le projet SABRE pour lequel une première expérimentation a eu lieu en 2023 en Alaska, avec l’objectif de tester en priorité les équipements de diffusion, ballons et autres. Autre projet similaire en Angleterre, le projet SATAN, avec deux expérimentations en 2021 et 2022.
Chose assez étonnante, la communauté internationale n’en avait pas été informée. C’est pourtant toujours la même technologie qui est à l’œuvre, le même type d’expérimentation : il est question de tester les équipements, c’est-à-dire l’utilisation de ballons ou d’autres outils pour voir si cela fonctionne correctement. Avec SCOPEX, ils ont également souhaité diffuser une petite quantité de particules chimiques dans la stratosphère pour voir les effets à petite échelle.
Pour un cadre légal de ces expérimentations !
Le problème en effet de l’essor de ces nouvelles technologies et des premières expérimentations c’est qu’elles interviennent sans véritable cadre légal. Le dernier projet de cette catégorie, qui doit se passer en Arctique, est confronté à une opposition des populations autochtones en raison des risques encourus pour les systèmes naturels mais aussi pour leur santé. Manque de consultation, manque de transparence, voilà une question à régler rapidement afin d’assurer l’adhésion de chacun à ces développements. Autre difficulté qu’il faut relever, c’est que ces types de projets se développent dans un contexte où des scientifiques venant pour la plupart des pays du nord, en particulier des Etats-Unis, viennent expérimenter dans des zones autres que leur territoire, dans une partie de la Suède ou en Alaska, où vivent des populations qui y sont formellement opposés.
Des dérives d’apprentis-sorciers à surveiller
Il ne faudrait pas en effet, que des scientifiques ou personnages fortunés de lancent dans des expérimentations en dehors de cadre légaux. Ainsi, on a beaucoup entendu parler ces derniers mois d’une expérimentation initiée par un entrepreneur californien menée au Mexique. Cette personne a envoyé deux ballons diffuser des particules chimiques sans cadre scientifique, et sans suivi. C’est problématique. On ne sait pas quelles étaient ces intentions réelles. Peut-être souhaitait-il alerter sur la situation pour regretter qu’il n’y ait pas davantage de cadre ni de de réglementation ? En revanche, ce qu’on peut dire, c’est que cela a été fait au Mexique ; pas sur le territoire des Etats-Unis. En réaction, le Mexique a interdit depuis toute expérimentation et diffusion de ce type de particules sur son territoire. On peut ajouter que cela pose la question de la capacité à monétiser cette activité. De la même manière que les crédits Carbone sont rentrés sur le marché, il n’est pas impossible de voir émerger, derrière ces initiatives, l’idée de développer des crédits à refroidir la terre.
Autre technique en vogue : le blanchiment des nuages marins
Cette technologie cherche à injecter des particules de sel très fines dans les nuages situés au-dessus des océans, avec des sortes de ventilateurs géants qui vont venir les diffuser. Une première expérimentation a eu lieu en 2020 sur la grande barrière de corail en Australie, qui a d’ailleurs été plutôt réussie et qui a donné lieu, par la suite à plusieurs financements publics pour poursuivre les recherches. Ce projet n’est pas considéré comme un projet de bio-ingénierie du climat mais plutôt comme un projet visant à agir contre le blanchiment des coraux. Sans doute que cette dénomination permet une plus forte acceptabilité sociale dans le pays et dans la communauté internationale. Il faut reconnaitre que les enjeux liés au développement de la géo-ingénierie sont des enjeux qui sont encore un peu tabous comparés à ceux de la protection des coraux, ce qui explique probablement leur choix de présentation du projet.
Le projet Space Bubbles, vers une maitrise de l’espace ?
Il s’agit là de la dernière technologie en cours de développement qui, elle, va agir sur une autre dimension. Elle n’intervient pas sur la stratosphère, mais encore plus haut, entre le soleil et la terre, dans l’espace. Ici, le projet de recherche en question, Space Bubbles, mené par le MIT, se propose d’installer une sorte de radeau flottant, composé de bulles gelées- un peu comme du papier bulles- placé entre le soleil et la terre pour refléter les rayons du soleil vers l’espace et les bloquer avant qu’ils arrivent sur terre. Ce qui est intéressant dans la manière dont ils défendent le projet, c’est qu’ils mettent en avant le contournement de toutes les problématiques liées à l’intervention sur terre : gouvernance, opposition des populations, risques encourus, etc… Pour éviter ces freins, l’alternative est simple : intervenons directement dans l’espace !
Voilà globalement un petit panorama des technologies en cours de développement pour répondre aux impératifs du réchauffement climatiques. Force est de constater que certaines sont plus avancées que d’autres, notamment celles basées sur l’injection dans la stratosphère de particules chimiques ou le blanchiment des nuages marins. Il s’agit là de véritables expérimentations à échelles réelles, encadrées par des scientifiques et adossées à des centres de recherches gouvernementaux ou universitaires de renommée mondiale.
Pourtant, beaucoup de chemin reste encore à parcourir, tant la question de l’acceptabilité de ces technologies reste complexe. Dans quel cadre réglementaire ont-elles lieu et qui contrôle ? De fait, comment ne pas comprendre l’inquiétude des populations concernées par ce type d’expérimentation ? Les films de science-fiction, revenons-y, sont intarissables sur les expériences qui tournent à la catastrophe voire à l’apocalypse.
Alors comment poursuivre ces recherches qui sont essentielles pour notre avenir commun, sans s’exposer à une opposition systématique ? Quel contrôle et comment maitriser les risques éventuels ? A n’en pas douter les débats à venir seront passionnants !
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