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Briser les blocages décisionnels !

  • Photo du rédacteur: Julien Nowaczyk
    Julien Nowaczyk
  • 22 juil.
  • 8 min de lecture

Combien de fois me suis-je retrouvé dans cette situation ? En comité de direction, face à un choix stratégique crucial, j’ai vu le débat s’enliser. Les heures passent, les points de vue s’opposent, et arrive ce moment gênant où tous les yeux se tournent vers le PDG. Son équipe attend qu’il tranche enfin, d’un mot, pour sortir de l’impasse. Alors il finit par décider unilatéralement… et le résultat est amer : peu de gens sont satisfaits, certains lui reprochent d’avoir agi en « dictateur par défaut ». Eux lui en veulent d’avoir imposé sa solution, il leur reproche leur indécision, et chacun ressasse ses griefs en silence. Si ce scénario vous est familier, rassurez-vous : je l’ai vécu, et j’ai appris à en sortir.


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Le vrai problème : un paradoxe plutôt qu’un manque de confiance

Ma première réaction, autrefois, fut de blâmer nos dynamiques d’équipe. N’étions-nous pas assez soudés ? Manquions-nous de confiance mutuelle ? De nombreux dirigeants supposent que ces blocages viennent de facteurs psychologiques – méfiance, mauvaise communication, ego…. On organise alors des séminaires de team building, on encourage la communication assertive, on prône l’écoute active, espérant ainsi fluidifier les décisions. J’ai moi-même essayé ces recettes. Malheureusement, nous passions à côté du vrai problème. Ce que je prenais pour un défaut de leadership ou de cohésion était en réalité un défaut de processus de décision.

En cherchant à agréger des préférences individuelles en une décision collective, le comité se frottait à une impossibilité mathématique. Dès que l’on est trois personnes ou plus à vouloir prioriser trois options ou plus, il peut se produire un phénomène étrange : les préférences majoritaires deviennent contradictoires. Ce phénomène, connu sous le nom de paradoxe de Condorcet, a été décrit au XVIII siècle : il montre qu’un groupe peut très bien préférer A à B, B à C, mais aussi C à A, créant une boucle sans issue. En d’autres termes, il n’existe parfois aucun choix qui satisfasse une majorité de l’équipe de façon cohérente. Quel que soit l’option retenue, une majorité différente des dirigeants aurait voulu autre chose – donnant l’impression que le patron a toujours tort. J’ai réalisé que ce blocage n’était pas dû à l’incompétence ou à la mauvaise volonté des équipes, mais à cette logique implacable du vote majoritaire. Tant que nous continuions à décider selon nos préférences isolées, nous risquions de retomber dans le syndrome du dictateur par défaut : faute de consensus possible, le leader finit par trancher seul, au grand dam de la majorité. Il ne s’agissait donc pas de « changer les gens », mais de changer notre façon de décider.

 

Le syndrome du "dictateur malgré lui" : quand le leader tranche dans le vide

Je vous propose un nom à cette douloureuse mécanique : « Dictateur malgré lui ! ». En réunion, chaque membre du comité représente son « territoire » – achats, marketing, finance, production, etc. – avec ses objectifs et projets favoris. Malgré les appels à la vision holistique, chacun a tendance à défendre ses ressources et ses priorités. Lorsque l’ordre du jour implique d’allouer des budgets ou classer des priorités, la compétition interne est inévitable. Dès que plus de deux options sont sur la table, le décor est planté pour le fameux paradoxe : les alliances fluctuantes créent des majorités multiples, et l’équipe est incapable de converger vers un choix satisfaisant pour tous. Que fait-on alors ? Souvent, on laisse le PDG trancher arbitrairement pour sortir de l’ornière. C’est ainsi que beaucoup se retrouvent dictateur malgré eux, prenant seul une décision qui piétine fatalement les préférences concurrentes restées inexprimées. Personne n’est pleinement convaincu, mais tout le monde s’incline en apparence pour passer au sujet suivant. Les objections réelles restent tues, les doléances couvent, et le cycle des reproches peut recommencer plus tard. Repensons de fond en comble notre processus de prise de décision collective !

 

Tactiques concrètes pour fluidifier les décisions collectives

Ayant pris conscience du piège, j’ai adopté une nouvelle approche inspirée des conseils de l’expert Bob Frisch - Co‑fondateur et managing partner du Strategic Offsites Group. Plutôt que de subir les dynamiques du groupe, j’ai conseillé de structurer activement les délibérations. Voici les tactiques concrètes qui ont transformé certains comités, en responsabilisant chaque membre et en prévenant les blocages avant qu’ils ne surviennent :


(1)    Clarifier dès le départ l’objectif commun.

Nous avons pris l’habitude de définir explicitement le résultat recherché avant de débattre des solutions. Cela peut sembler évident, mais trop souvent chacun n’a pas la même définition du succès : croissance peut signifier pour l’un chiffre d’affaires, pour l’autre part de marché, pour l’autre profit net. Cette clarification initiale aligne tout le monde sur des objectifs clairs et partagés, condition indispensable pour éviter les malentendus stratégiques. Sans objectif commun explicite, chacun choisit en fonction de prémisses tacites différentes – terrain fertile pour le syndrome du dictateur malgré lui. J’ai vu une de nos divisions résoudre un dilemme industriel simplement en prenant conscience que le critère ultime du groupe était de réduire les frais généraux sans nuire aux bénéfices, et non le rendement financier immédiat. Une fois ce vrai but établi, la décision s’est débloquée d’elle-même.

 

(2)    Explorer un éventail d’options, au-delà du binaire.

Nous avons banni les choix simplistes du type « faire A ou B ». À la place, nous cherchons à formuler plusieurs options créatives pour atteindre le résultat visé. Souvent, cela désamorce le faux dilemme du oui/non. Par exemple, au lieu de « construire une nouvelle usine ou ne rien faire », une équipe a listé des alternatives plus nuancées : moderniser l’usine existante, sous-traiter une partie, construire une usine à l’étranger pour un segment précis, etc.. En offrant plus de choix, on évite le piège où deux factions s’opposent frontalement sur un choix polarisé. Chacun peut trouver des éléments qui lui conviennent dans l’une des options élargies, ce qui augmente les chances de convergence.

 

(3)    Sonder les limites.

Dès qu’on élargit la palette d’options, j’ai remarqué que l’équipe se focalise souvent sur ce qui semblerait impossible à faire. Des contraintes – budgétaires, politiques, réglementaires – sont brandies pour écarter telle ou telle idée. Au lieu de prendre ces limites pour argent comptant, nous les challengeons systématiquement : est-ce un mur infranchissable ou une clôture qu’on peut déplacer ? Souvent, la contrainte n’est que présumée. Ainsi, dans l’une des sociétés que j’ai accompagnée, l’équipe s’interdisait d’envisager une offre fournisseur, convaincue que la politique du groupe l’interdisait. La DG a testé explicitement cette hypothèse auprès de la maison-mère, pour découvrir que la véritable interdiction concernait seulement certaines contraintes réglementaires très précises. Armée de cette connaissance, l’équipe a pu élaborer une stratégie intégrant certains services de ce fournisseur, tout en évitant le écueils réglementaires réels. Une simple question a suffi à ouvrir des perspectives autrefois bloquées.

 

(4)    Faire émerger les préférences tôt.

J’ai appris à détecter très en amont les désaccords latents. Plutôt que de découvrir en réunion qu’on est coincés, je conseille de pratiquer désormais des votes informels et sondages préalables. Par exemple, avant de discuter où concentrer un investissement international, demander à chaque dirigeant de classer ses options favorites confidentiellement. Le résultat ? Plusieurs pays sans aucun soutien ont été éliminés d’emblée, et nous avons concentré le débat sur deux alternatives réellement sérieuses. Ce pré-tri a évité de disperser l’équipe dans toutes les directions. Nous avons également expérimenté les votes pondérés : chaque dirigeant reçoit un budget fictif (des jetons) à répartir sur les projets ou secteurs qu’il juge les plus prometteurs. Quand nous l’avons fait dans une division, deux ou trois tendances fortes se sont dégagées dès le premier tour, puis se sont harmonisées au fil des discussions successives. En donnant un poids proportionnel aux convictions de chacun, cette méthode a cassé la fausse impression d’égalité entre toutes les options – impression souvent à l’origine du problème. Ces votes exploratoires, non décisifs, responsabilisent les membres du comité en les impliquant activement et réduisent la probabilité d’un blocage que je devrais trancher arbitrairement.

 

(5)    Examiner rigoureusement le pour et le contre de chaque option.

J’ai abandonné l’idée qu’il suffirait d’apprendre à « mieux s’écouter ». À la place, je m’assure que pour chaque décision, les avantages et les inconvénients de chaque option sont exposés en toute objectivité. Cela nécessite souvent de désigner un « avocat du diable » chargé de formuler les contre-arguments de façon systématique. Dans le feu de l’action, celui qui propose une idée a beau évoquer ses risques, il reste juge et partie, convaincu du bien-fondé de son plan. Inversement, les autres membres du comité découvrent l’analyse quelques jours avant la réunion et ne peuvent pas toujours opposer une réfutation aussi étayée. De plus, critiquer frontalement l’analyse de rentabilité de son collègue est socialement difficile : c’est souvent perçu (à tort) comme une attaque personnelle. Résultat, hormis le PDG ou le directeur financier (qui osent poser des questions incisives), peu osent émettre des objections approfondies. Pour dépersonnaliser le débat, nous procédons différemment. Soit on mandate un cadre indépendant pour jouer l’opposant, soit – de façon plus légère – on demande à chaque membre de présenter, pour son domaine, deux ou trois critiques ou alternatives à chaque proposition. Cet exercice place chacun sur son terrain d’expertise plutôt que de lui demander de « penser comme un PDG ». Ainsi, les faiblesses de chaque option sont examinées au grand jour, et ce processus devient normal et attendu, plutôt qu’un duel inconfortable entre le porteur du projet et ses challengers. J’ai même vu une entreprise mettre en place un système où chaque business case devait être validé par un dirigeant n’en étant pas l’initiateur, avec un barème commun de notation des projets : cela a intégré l’avocat du diable dans la routine, et rappelé à tous que chaque initiative est en concurrence pour des ressources limitées – stimulant une saine évaluation critique.

 

Créer les conditions du succès : confidentialité et temps pour délibérer

Toutes ces tactiques m’ont aidé à transformer nos prises de décision. Mais j’ai aussi découvert qu’elles n’atteindraient pleinement leur effet qu’en respectant deux règles essentielles, que je m’efforce désormais de garantir :


-  Délibérer dans un climat confidentiel.

Je propose d’instaurer une règle d’or : les discussions stratégiques du comité restent strictement confidentielles. Sans ce cadre sécurisé, impossible d’explorer librement des pistes sensibles. Un dirigeant hésitera à lancer des ballons d’essai – par exemple évoquer la fermeture éventuelle d’une usine – s’il craint que ses propos soient ensuite colportés dans l’organisation. De même, un membre du comité dont le projet favori n’est pas retenu doit pouvoir sauver la face vis-à-vis de ses équipes. Il ne faut pas qu’on dise ensuite qu’il a « perdu » ou abandonné un sujet important pour ses troupes. La confidentialité offre à chacun la liberté d’exprimer sincèrement ses idées, sans enjeu politique ultérieur, et protège la cohésion une fois la décision actée.

 

Prendre le temps de la réflexion collective.

Autre écueil classique : vouloir régler des questions stratégiques complexes en 30 minutes chrono entre deux présentations. J’ai souvent vu à l’ordre du jour des points comme « Stratégie Achats de tel produit ou tel périmètre » avec 25 minutes allouées – recette garantie pour une non-décision ou une décision bâclée par le DG. Désormais, j’insister pour qu’on accorde le temps nécessaire. Si nous formulons de nouvelles options ou si nous fractionnons un problème en plusieurs sous-décisions, il faut du temps pour analyser tout cela sérieusement et peser les contre-arguments. Mieux vaut étaler la délibération sur plusieurs séances, espacées de recherches complémentaires, pour laisser mûrir les réflexions. Entre deux réunions, chacun peut reconsidérer ses préférences à tête reposée et même préparer ses équipes aux changements envisageables. En prenant ce temps, j’ai constaté que les positions évoluent, les points de friction s’atténuent, et l’on finit par converger là où une discussion précipitée aurait achoppé.

 

Vers un nouveau style de décision managériale

Aujourd’hui, je n’ai plus peur de ces réunions jadis redoutées. Au contraire, j’y vois une occasion de faire mieux travailler l’intelligence collective de les équipes dirigeantes. En appliquant ces principes – clarification des objectifs, diversité des options, expression anticipée des préférences, examen objectif des scénarios, confidentialité et temps –, j’ai vu le style décisionnel de mes clients devenir bien plus serein et assuré. Fini le temps des décisions imposées en solitaire et des rancœurs larvées : nous prenons désormais des décisions ensemble, en comprenant mieux nos désaccords et en les surmontant de façon constructive. Cette expérience m’a également appris l’humilité. J’encourage tous les managers et dirigeants à repenser leurs propres pratiques à la lumière de ce paradoxe. Si vous vous retrouvez piégés dans des débats sans fin, ne cherchez pas forcément l’erreur chez vos collègues ou en vous-même. Demandez-vous plutôt comment structurer différemment la prise de décision. Avez-vous bien défini le but commun ? Avez-vous envisagé assez d’options, sondé les objections, créé un espace sûr pour débattre ? Être un bon leader, c’est parfois s’effacer en tant que décideur ultime pour mieux jouer le rôle de facilitateur du processus. Votre rôle va évoluer : vous ne trancherez plus à défaut, vous orchestrerez le cadre qui permet à la meilleure décision d’émerger du collectif. En adoptant ces tactiques et cet état d’esprit, vous verrez vos équipes gagner en confiance et en cohésion, et vous n’aurez plus jamais à endosser malgré vous le costume du dictateur malgré vous !

 
 
 

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