Lundi 27 juin 2022, j’aurai l’honneur d’intervenir à la table ronde de l’Université des Achats sur sujet : Créer durablement de la valeur sur les achats indirects en adoptant une attitude responsable.
Cette problématique me tient particulièrement à cœur depuis plus de 20 ans. Mon doctorat portait sur ces thématiques et j’ai toujours eu la volonté de positionner la RSE comme ligne directrice des différentes fonctions Achats que j’ai occupées et que je continue d’exercer.
Les enjeux de la RSE au sein de la fonction Achats ont considérablement évolué. Du concept de développement durable, on s’attache dorénavant au verbatim de la Responsabilité Sociétale des Entreprises. Cette évolution sémantique permet de mettre en évidence – je l’espère – l’ambition d’une responsabilité sincère et véritable de nos organisations face aux enjeux sociétaux. A ce titre, il est important de hiérarchiser les thématiques RSE à traiter. Alors que le Développement Durable intègre une tri-dimension équitable (économie, social et environnement), n’est-il pas urgent de prioriser nos actions sur les enjeux environnementaux ? Certes, les enjeux économiques et sociaux restent importants – mais l’urgence de la décarbonation de notre économie n’est-elle pas ultra prioritaire ? Les derniers rapports édités par le GIEC nous alertent sur une situation préoccupante. Dans une hiérarchie de nos priorités, je partage l’idée que les problématiques environnementales doivent être positionnées au plus haut de nos actions. Si – par horreur – nous n’atteignons pas les exigences de l’accord de Paris (un maintien du réchauffement global sous 1,5° degrés doit conduire à une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 70 à 80 % d'ici la deuxième moitié du siècle - et zéro émission en 2100, au plus tard), les dommages sociaux et sociétaux seraient considérables et irréversibles.
N’étant pas expert scientifique des questions climatiques, je garde cette croyance qu’il n’est pas trop tard pour agir et pour engager un virage brutal dans nos processus d’achats. Car, oui, notre profession se doit d’agir immédiatement et efficacement. Les actions à engager sont connues et partagées. Les écrits sur ces thématiques se multiplient depuis quelques années et le positionnement du CNA (Conseil National des Achats) sur l’importance d’engager des actions vers une intégration de la RSE dans les stratégies Achats l’illustre également. Pour autant, nous peinons à transformer durablement l’ADN des achats – le temps qui nous est imparti n’existe plus. Aux détracteurs habituels et conservateurs de la première heure, nous n’avons plus le temps d’attendre la mise en place d’une grande révolution de nos politiques d’Achats. Les Achats Responsables doivent être (et non devenir) l’usage, l’ADN, la norme … Les Achats sont Responsables. Cette qualité ne peut plus être une option, elle doit être une évidence – une réalité. Osons l’impossible, croyons en la folie – nous sommes devenus des acheteurs responsables. Malheureusement, nous en sommes encore au stade de l’utopie. Un stade qui dure depuis de nombreuses années. Quels que soient les conférences, les tables rondes, les chartes et les documents produits, les Achats Responsables s’illustrent par quelques pratiques sporadiques et décousues. Mais pourquoi ? Pourquoi n’arrivons-nous pas à imposer ce « Responsable » comme axe prépondérant / déterminant de toutes nos politiques Achats ?
A date, j’observe deux freins à cette transformation :
(1) Une gouvernance de nos organisations encore frileuse sur la mise en œuvre et le déploiement de politiques d’achats responsables. Les acheteurs sont des cost killers. Obnubilées par les indicateurs financiers court-termistes, cristallisées par le déni et régies par une non acculturation à l’urgence climatique, la majorité de nos organisations sont dans l’incapacité de lancer la révolution des Achats Responsables.
(2) Les équipes Achats restent peu sensibilisées. J’ai coutume d’illustrer ce frein par l’effet « Cascade ». Compte tenu du manque de volonté des dirigeants et compte tenu de l’opposition entre les objectifs « réels » des acheteurs et ceux communiqués « Purchases Responsibles Washing », les Directions Achats gardent comme ligne directrice de leur politique Achats la seule maîtrise des coûts. A ce titre, les acheteurs restent donc bornés à leurs compétences « cost killer ». Des formations doivent être engagées pour amorcer rapidement un changement de leur logiciel Achats (j’entends par « logiciel Achats », les postures et compétences métiers inhérentes au métier d’acheteur).
Malgré ces réserves, il convient de souligner les changements déjà organisés dans de nombreuses structures depuis quelques années. La RSE n’est plus l’adage de quelques acteurs, elle s’inscrit durablement dans les stratégies Achats de nombreuses organisations – mais encore trop minoritaires. Nous devons aller plus vite et être plus ambitieux dans nos actions.
La récente levée de fond de la société ECOVADIS à hauteur de 500 millions d’Euros est une excellente nouvelle. Leader des plateformes d’évaluation et d’amélioration de la performance RSE des entreprises, notamment au niveau de la chaîne d’approvisionnement, ECOVADIS compte aujourd’hui plus de 95 000 clients, engageant ainsi une lame de fond dans la standardisation de l’évaluation des pratiques RSE. "Cet investissement confirme la pertinence de notre modèle consistant à s’assurer de la qualité et de la durabilité des chaînes d'approvisionnements mondiales, et ce, malgré les pandémies, les difficultés géopolitiques ou financières", se félicitent les cofondateurs et co-PDG Frédéric Trinel et Pierre François Thaler (L’Usine Digitale – publié le 14 juin 22). Cette première Licorne dédiée à la RSE ciblant la chaîne d’approvisionnement marque – je l’espère – une étape importante dans l’avènement des Achats Responsables.
Le choix d’intervenir à la table ronde organisée par le CNA sur l’intégration de la RSE dans nos achats indirects s’inscrit dans cette dynamique d’accélération que notre profession doit engager. Les achats indirects concernent l’ensemble des organisations quels qu’en soient leur taille et leur secteur d’activité. A ce titre, engager une politique d’achats indirects responsables permet d’accentuer le positionnement des Directions Achats vers une intégration des exigences environnementales :
(1) Toutes les organisations sont concernées – il n’est plus question de spécificités sectorielles et techniques.
(2) Tous les collaborateurs sont également impactés par une politique d’achats indirects responsables – à condition de leur expliquer les causes et les conséquences des choix pris. Même si les actions doivent être prioritaires à la communication, cette dernière est nécessaire pour embarquer l’ensemble des parties prenantes internes et externes et pour démultiplier l’effet positif « image / réputation » de cette politique Achats.
(3) Créer un précédent dans le « logiciel » métier des acheteurs en ouvrant leurs interdits et en forçant les barrières habituelles. Intégrer une dynamique environnementale dans le process d’achats est une attente forte de nos collaborateurs. N’imaginons pas qu’ils rechignent à ces évolutions, au contraire. Eux aussi souhaitent apporter un sens à leur métier !
Plusieurs thématiques sont abordées au cours de cette table ronde : la mobilité, l’énergie, les emballages, les assurances, l’immobilier et l’IT. Pour chacune d’elles, nous avons œuvré à présenter des actions concrètes à mettre en œuvre avec comme ligne directrice le lien entre RSE et optimisation des coûts. Pour exemple, je développerai dans cet écrit deux axes d’achats indirects : la mobilité et l’Immobilier.
(1) La Mobilité : notre ambition de décarboner notre économie nous impose de travailler autrement nos politiques de mobilité. A date, la voiture de fonction est liée à un positionnement statutaire. Nous travaillons rarement l’usage de la mobilité de nos collaborateurs. C’est tout l’enjeu d’une refonte de ces politiques – intégrer l’usage en lieu et place du statut ! Une analyse de nos modes de déplacements et de nos besoins en mobilité est un préalable à cette transformation. Une fois réalisée, il nous appartiendra de travailler avec les Directions des Ressources Humaines sur l’optimisation de notre flotte de véhicule en étant force de proposition et d’innovation : électrification partielle de la flotte automobile et déploiement de pack mobilité incluant des solutions intermédiaires (location de véhicule de courte durée, prioriser les mobilités douces et alternatives) permettant de déterminer des solutions adaptées aux collaborateurs.
(2) L’immobilier : Nos bâtiments représentent 45% de la consommation nationale d’énergie en France. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et respecter les exigences du récent décret tertiaire (Décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d'actions de réduction de la consommation d'énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire), il nous appartient de remettre en négociation l’ensemble des baux commerciaux. L’idée est d’engager un échange constructif avec le (ou les) bailleur(s) concernés afin de travailler conjointement (dans un 1er temps) sur une optimisation énergétique du bâti. Les récentes transformations sociétales (télétravail, mobilité différenciée) et l’augmentation brutale et durable des coûts de l’énergie nous permettent de reposer ces sujets. Concrètement, (1) reprendre l’ensemble des baux signés, (2) croiser les dépenses énergétiques et leurs évolutions avec les obligations du décret tertiaire (avec l’appui de la Direction Juridique), (3) compléter cette analyse en précisant l’usage réel des locaux actuellement occupés tout en projetant celui de demain (avec l’appui des Directions concernées), (4) Engager une négociation avec votre (vos) bailleur(s) ayant pour objectifs : 1. Réduire l’emprunt carbone / énergie de vos locaux et 2. Diminuer les coûts liés. (5) Engager un sourcing de vos prochains bâtiments qui intégreront pleinement vos exigences et les économies souhaitées.
L’intégration de la RSE (notamment le pilier Environnement) doit devenir un standard dans nos stratégies d’achats indirects. Les leviers de performances et d’économies sont nombreux et les impacts auprès des acheteurs et autres parties prenantes internes sont positifs. Osons nous transformer, osons nous engager.
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