La modification du climat de manière artificielle, avec le développement de bio-ingénierie a clairement le vent en poupe. Elle gagne du terrain inspirant beaucoup d’espoirs mais autant de craintes ? Pour quelles raisons ? Est-ce une nouvelle forme de révolution technologique comme celle qui a bouleversé l’ère numérique ? Pourquoi, cette technologie séduit autant dans la communauté scientifique où l’on observe une multiplication de projets et expérimentations ? Quels sont les intérêts adossés à ce déploiement et quels enjeux géostratégiques recouvrent-il ? Enfin, peut-on chercher à résoudre un risque en créant de toutes pièces un nouveau risque peut-être plus dangereux encore ? Petit tour de piste des différents arguments, pour que chacun se fasse son opinion….

Un contexte climatique qui inquiète
Premier argument pour booster la recherche sur la modification artificielle du climat, c’est le contexte lié au réchauffement climatique anxiogène. Les rapports du GIEC sont plus pessimistes les uns que les autres et engagent les états à réagir rapidement. Pourtant, force est de constater que les résultats de la gouvernance climatique internationale sont décevants. L’échec des états à respecter leurs objectifs et réduire les émissions à effets de serre est patent. Ainsi, depuis l’Accord de Paris, on observe que les émissions continuent à augmenter, la concentration de co2 dans l’atmosphère n’a pas diminué loin de là.
Autant dire que ces scenarios pessimistes, en termes d’émissions mais aussi d’élévations des températures qui y sont associées suscitent l’inquiétude. Les impacts du changement climatique sont visibles avec la survenue de plus en plus fréquente de catastrophes naturelles, de cyclones, de feux de forêts à répétition. Parallèlement à cela, on assite aussi à un accroissement des financements à la fois du secteur public mais aussi du secteur privé qui se concrétisent par un regain d’intérêt dans la recherche avec des montants importants investis.
Tous ces facteurs coïncident pour mettre sur le devant de la scène les technologies que développent la géo-ingénierie, dans la mesure où l’on se dit que les solutions dont on dispose déjà ne fonctionnent pas ou ont des effets à portée limitée.
De fait, la trajectoire des Accords de Paris visant à de réduire de 1,5 degrés la température semble pour certains trop difficile à maintenir. Et cette difficulté à persévérer dans les efforts à consentir ouvre une brèche pour aller chercher ailleurs d’autres solutions. Une solution de recours face à l’inefficacité des résultats obtenus jusque-là. C’est d’ailleurs, même en termes de vocabulaire utilisé, une voie non pas alternative mais parfois de substitution. Les pro géo-ingénierie pensent pouvoir « sauver le monde » ! En réalité, il semblerait que ce soit l’échec de la capacité à réduire nos émissions de gaz à effets de serres qui participe à légitimer le recours à ces technologies. C’est une boucle qui se nourrit mutuellement : moins on fait d’effort pour réduire, plus on encourage ces technologies, et ensuite plus on développe ces technologies, moins on encourage les acteurs à modifier leur modèle. Le serpent qui se mord la queue ?
Etats, financeurs privés, armée : qui fait quoi ?
Historiquement ce sont les acteurs pétro-gaziers qui s’y sont intéressés en premier. Depuis, beaucoup de nouveaux acteurs se pressent et notamment des philanthropes, des individus avec des capitaux privés issus du monde de la finance ou de l’immobilier qui apportent des financements. Il existe une grande concentration aux USA qui comptent 80% des financements sur le géo-solaire. A côté de cela, les capitaux publics sont également mobilisés avec la création d’agences publiques qui participent également aux financements comme aux Etats-Unis, en Angleterre ou en Australie. Ensuite, viennent les acteurs issus du milieu de la défense. Tant aux niveaux logistiques que géostratégiques, ils sont fortement concernés par ces développements. A partir des années 1990, la Navy américaine a commencé à produire des recherches sur les conséquences des changements climatiques pour ces activités. Dès 2000, s’est formalisé l’intérêt du Pentagone pour les effets du changement climatique en termes sécuritaire. Cette préoccupation a d’ailleurs été érigée comme une menace à la sécurité nationale des Etats-Unis. Ils se sont donc penchés sérieusement sur la manière de contrer ce phénomène considéré comme un risque en considérant que cela pourrait servir de manière stratégique les intérêts de l’Etat. Ils ont considéré que la sécurité des populations américaines était en jeu mais également la capacité de l’armée américaine à opérer.
L’idéal d’une justice climatique n’est pas une priorité…
Certes un débat existe sur ce que pourrait apporter ces technologies à des fins de justice climatique. En effet, certains pensent que la géo-ingénierie peut-être aussi appréhendée dans une logique de réduction des inégalités climatiques. C’est le cas notamment dans certains milieux et notamment une partie de la gauche américaine qui considère que ce sont les pays du sud qui vont subir le plus fortement les effets du réchauffement climatique. Ces pays pour la plupart, plus pauvres, vont être confrontés aux aléas climatiques plus rapidement alors que globalement ce sont tout de même les pays situés au Nord, très développés qui sont en partie les responsables d’une large part de ces émissions. Est-ce que cette recherche sur la limitation des effets ne serait pas un juste retour des choses ?
Force est de constater que cette démarche ne semble pas au cœur des préoccupations. Si éthiquement parlant, en effet, le développement de la bio-ingénierie pourrait être imaginé comme le moyen de réduire les inégalités globales, dans la réalité, les acteurs concernés ne sont pas animés par cet objectif. Il s’agit plutôt d’une élite composée d’experts, de savants, de technocrates qui ont comme intérêt premier de fixer les choses et en particulier la manière dont le monde fonctionne aujourd’hui. C’est bien dans ce schéma là que la bio-ingénierie semble se développer. D’ailleurs, lorsqu’on observe les parties prenantes qui dominent cette recherche, on s’aperçoit que ce sont majoritairement des chercheurs blancs, hommes, issus des pays très développés. L’absence de personnels issus de la diversité, ce manque d’inclusion interrogent sur la finalité recherchée.
Des risques qui engendrent d’autres risques : vers une spirale infernale ?
A côté des critiques sur la préservation de leurs propres intérêts personnels, beaucoup d’observateurs s’inquiètent des effets potentiels et retombées de ces technologies sur la vie humaine et notre écosystème.
Le premier risque évoqué c’est le risque de détruire ou d’abîmer la couche d’ozone, avec les conséquences sur la sécurité et la santé des populations. Car on le sait, ces particules auraient la capacité à modifier voire détruire la couche d’ozone. On a, finalement, peu d’information sur ce qui se passerait pour les populations situées sous cette diffusion de particules. Ce qui est sûr c’est qu’en Arctique, où il était question de mener des expérimentations (Arctique Ice Project), les populations locales s’y sont opposés au motif des risques encourus pour la santé. Au-delà, ils craignent les effets sur les écosystèmes. De même, ces modifications qui pourraient intervenir sur les régimes des précipitations à la baisse ou à la hausse, peuvent avoir des conséquences importantes, particulièrement pour des populations dépendantes de l’agriculture. On le voit bien les deux aspects sont liés : sécurité humaine mais aussi sauvegarde des capacités humaines à survivre.
En réalité, on comprend vite qu’on ne maitrise pas du tout l’impact de ces manipulations sur le climat à grande échelle. Même si l’on intervient sur un territoire précis, dans les faits, tout cela communique avec d’autres éléments du système terre, avec des résultats qu’on ne connait pas.
Autre risque également pour la santé et qui est rarement mentionné, c’est le risque psychologique : comment vivre de manière continue sous un ciel gris, sans plus jamais revoir le bleu du ciel ?
Enfin, dernier risque et il est majeur, c’est celui de l’aléa moral. Il signifie simplement qu’en cherchant à développer cette technologie, on aboutit à ralentir les efforts nécessaires pour réussir la transition écologique et celle de nos modèles économiques. Il semblerait que ce mécanisme soit déjà à l’œuvre pour la plus grande crainte d’une large partie de la communauté scientifique.
Qu’en conclure ? Le déploiement de la bio-ingénierie est-il encore trop peu avancé pour être même un recours viable. Beaucoup pensent qu’il serait très imprudent de miser sur ces technologies au dépend des efforts nécessaires à réaliser pour réduire nos émissions. Mais seront-ils entendus ?
Et si le jeu n’en valait pas la chandelle ?
Qui peut réellement anticiper l’ensemble des effets de ces modifications artificielles sur notre planète ? Telle est en vérité le point culminant du débat.
On sait par exemple, grâce aux modèles mathématiques qui le montrent que ces interventions conduisent à une modification des régimes de précipitations, sans doute à la baisse. Si l’on ajoute cela à un contexte actuel de changement climatique où ces phénomènes existent déjà, on obtient assez rapidement une forme de dérégulation conjointe liée aux effets cumulés dont personne ne connait les conséquences.
Mais le plus grand risque, n’est-ce pas celui qu’on appelle le « choc terminal ». C’est-à-dire celui qui anticipe le fonctionnement en continu et l’éventualité d’un arrêt brutal. Car une fois qu’on va diffuser ces particules dans l’espace, il va falloir le faire de manière continue pour prolonger l’effet de refroidissement. Or, si on doit arrêter en raison d’une catastrophe naturelle, d’une crise politique majeure, d’une guerre ou pour d’autres raisons impératives, il s’avère que les effets de cet arrêt brutal pourraient faire remonter les températures de manière tellement rapide, que ni les sociétés humaines, ni les écosystèmes ne pourraient s’y adapter.
Car forcément, ce déploiement nécessite une logistique très importante. Pour illustrer ce propos, on sait qu’il y a eu un projet qui a été financé en 2018 aux Etats-Unis et qui a cherché à modéliser ce que donnerait ce fonctionnement en continu. Ils ont imaginé, ainsi, une durée de diffusion qui commencerait en 2033 jusqu’en 2047 pour arriver à contenir l’augmentation température moyenne. Le résultat donne le tournis : cela demanderait 95 avions qui assurent 41 vols par jour. Au total, donc, 60 000 vols par an jusqu’en 2047. Pour un budget de 16 milliards de dollars. C’est toute une logistique incroyable qui doit être mise en place. Et celle-ci peut être mise à mal par de nombreux facteurs, météorologique notamment. De là à s’imaginer garantir ce fonctionnement en continu sur de longues périodes, nous laisse pensifs voire très inquiets. Surtout quand on sait ce qui peut arriver si cela s’arrête d’un coup. On est plus très loin à nouveau des scénarios des films catastrophes !
Ne pas perdre de vue l’essentiel !
Une fois qu’on a fait le tour des arguments exposés par les défenseurs et les détracteurs de la géo-ingénierie, la question qui ressort et qui suscite le plus d’inquiétudes porte finalement sur la perte de temps.
On peut se demander s’il s’agit là finalement que d’un prétexte pour ne pas fournir tous les efforts nécessaires pour combattre efficacement le réchauffement ? A force de perdre du temps sur des solutions hypothétiques, le risque de se retrouver coincés en 2049, avec pour seul choix d’avoir recours à la géo-ingénierie - et toute l’incertitude qu’elle comporte - est grand.
D’un point de vue moral, cela pose aussi la question de l’intervention en tant qu’être humain sur le système Terre. Est-ce notre rôle ? Chercher à intervenir sur la température moyenne globale, comme si l’on réglait un thermostat. Est-ce souhaitable ? Imaginons un instant, que la terre serait comme une maison, habitée par plusieurs occupants. Qui a le contrôle du thermostat ? A grande échelle, si on tente de se projeter, quels pays auront le droit d’installer la température qui convient le mieux ? Nos grands dirigeants peuvent-ils réussir à se mettre d’accord ? Quand on observe le conflit en Ukraine, ces perspectives peuvent donner des sueurs froides aux voisins de pays animés par des intentions belliqueuses. L’encadrement avec une gouvernance internationale pourrait être une réponse, mais l’exemple donné par la communauté internationale sur le climat n’est pas forcément plus rassurant.
Déséquilibres de pouvoir entre les nations, source de conflits, problèmes éthiques, juridiques, et de gouvernance, conséquences sur les populations et les écosystèmes…. Les défis et les craintes sont nombreux. A tel point que la Commission européenne a estimé lors d’un débat consacré à ces nouvelles technologies en juin dernier que cette question doit faire l'objet d'un débat international au plus haut niveau pour décider si une régulation est nécessaire et si oui, laquelle.
A n’en pas douter les années à venir seront déterminantes et conditionneront l’avenir de notre planète. En attendant, peut-être faut-il juste accepter que ce n’est pas dans ces technologies que réside la réponse au changement climatique. Il est assurément temps de nous attaquer vraiment à la racine du problème !
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