Cette tentative de projection vers le futur a pour terrain d’analyse le secteur du BTP. En qualité de Directeur des Achats du Groupe GEOXIA, j’ai pu travailler au cours de ces derniers mois avec mes équipes et de nombreux experts sur les impacts de cette crise sur nos achats et approvisionnements. Cette contribution a pour ambition de nous projeter en 2022 en nous appuyant sur un passé récent et sur des faits présents. Rassurez-vous, ces projections ne peuvent être des certitudes. Les boules de cristal et autres jeux de tarots ne font pas partis de mon quotidien. Je préfère avancer quelques supputations argumentées permettant à chacun de vous d’en juger la pertinence ! Nous sommes au cœur de cette crise et l’année 2022 devrait être dans la continuité de 2021 avec l’effet de surprise en moins et des hausses sûrement moins spectaculaires.
1. L’énergie s’envole …
Dans la multitude d’indicateurs que nous pouvons suivre pour essayer de nous projeter sur 2022, j’ai pris le parti de concentrer mon analyse sur les cours du Gaz, du Brent et du CO2. Sans surprise, ceux-ci subissent des augmentations répétées et importantes depuis plusieurs mois. Aucun indicateur n’est dans une tendance différente. Sur une année, les prix du gaz ont augmenté de 86%, la tonne de CO2 a vu son cours multiplié par 3 et le prix du Brent atteint les 74 $/US.
Fin septembre 21, les prix du gaz continuent d’augmenter, atteignant des niveaux toujours historiques, alors même que l’été vient seulement de s’achever. Cette tendance inquiète de nombreux spécialistes, qui présagent des difficultés pour les mois à venir. Les causes de cette tendance haussière sont nombreuses : un épisode hivernal particulièrement long et intense en Europe Orientale réduisant drastiquement le niveau des stocks européens ; une demande gazière très forte, encouragée par une reprise économique importante en Asie provoquant par la même occasion une concurrence accrue pour l’achat de GNIL (Gaz naturel liquéfié). Cela ne favorise donc pas le remplissage des stockages, pourtant très sollicités cet hiver. Enfin, une baisse de l’approvisionnement en provenance de Norvège et des Pays Bas (pour cause de maintenance) exacerbe les tensions sur les cours du Gaz.
Avec le temps, nous avons appris à anticiper l’impact de ces fluctuations de cours sur le quotidien des entreprises et celui-ci n’est pas immédiat ! Il existe un temps de transfert. En l’espèce, les prix de l’énergie continueront d’être « très haut » sur l’ensemble de l’année 2022 et auront un poids significatif dans nos prochaines négociations – notamment sur les coûts de transport et de production.
2. … les matériaux aussi !
Au début du printemps, nous étions aux prémices de cet emballement tarifaire. Beaucoup y voyait un effet d’aubaine post Crise COVID 19 et un retour à la « normale » au bout de quelques semaines. Beaucoup n’ont pas prêté l’oreille aux inquiétudes répétées de nombreux experts sur les tensions à venir. Pourtant, la vérité de ces derniers mois est criante : l’acier a augmenté de 70% à 100% en fonction de la nature des produits, le cuivre et le minerai de fer ont vu leurs cours doubler depuis janvier 2021 et le prix de l’aluminium atteint des sommets avec une progression de plus de 40% cette année… et 2021 n’est pas encore terminée !
La question qui se pose est la même que celle présentée pour l’énergie : sommes-nous arrivés à un plafond ? Comme d’habitude, nous attendons le visionnaire capable d’affirmer la réalisation de tel ou tel scénario. En son absence, nous nous efforçons de travailler sur des faits : la demande mondiale ne tarit pas – la tendance haussière ne faiblit pas – les contingentements sont toujours présents sur de nombreux produits – les stocks restent faibles. L’hypothèse à court terme d’un changement de cap semble donc peu probable…
3. La filière bois se réorganise mais les prix restent élevés.
Le matériau bois est au cœur de beaucoup d’analyses et de reportages grand public ces derniers mois. Il est l’illustration parfaite de cette crise : américains et chinois qui multiplient les commandes, des scieries européennes incapables de suivre la hausse de la demande et une filière locale totalement désorganisée et désarmée … Bilan : des menuisiers, des charpentiers et toute une profession qui découvrent les contingentements et l’effroyable guerre des prix ! Surement une très bonne nouvelle pour les propriétaires d’arbres, mais une gageure supplémentaire dans l’immensité de nos bêtises quant à la question des émissions de carbone liées à l’exportation du bois et à sa circulation d’un bout à l’autre de la planète.
La demande globale de bois est de plus en plus forte. Dans un contexte de transition écologique, ce matériau est LE matériau d’avenir – l’exemple parfait : la RE2020 faisant du bois le futur de tous les projets constructifs des années à venir. Pour ceux qui en douteraient encore, utiliser une poutre en bois par exemple, permet de ne pas en utiliser une en béton ou en aluminium, plus gourmande en énergie à la production ou en produits chimiques. L’urgence écologique a un prix.
La forte augmentation de la demande explique – aujourd’hui – cette tendance haussière. Mais demain, d’autres facteurs justifieront d’autres augmentations inévitables : la crainte d’accident climatique et/ou le développement de pathogènes attaquant les arbres feront diminuer l’offre. Au risque de décevoir ceux qui imaginent encore que nous pourrions découvrir de vastes forêts cachées permettant d’augmenter l’offre de bois, cette croyance est aussi folle que les théories des climato sceptiques !
4. Un manque de main d’œuvre donc de sous-traitants !
Les petites annonces débordent de partout. Les entreprises affrontent une pénurie de main d’œuvre et l’ensemble des secteurs d’activités sont touchés. Il est inutile de revenir sur les causes de ce manque. Certains aimeront y voir une inadéquation entre les compétences offertes et celles attendues, d’autres préfèreront évoquer la rigidité de notre modèle social et l’abondance toute relative des aides sociales. La finalité du moment est claire : nos organisations n’arrivent pas à trouver les ressources humaines nécessaires à leur activité. La dernière Université d’été du MEDEF (Paris, 25 et 26 août 2021) a mis en exergue ces fortes tensions de recrutement pouvant avoir un impact négatif sur la croissance des entreprises et – par effet ricochet - sur l’augmentation des coûts. Comme nous avons des difficultés à trouver du personnel, il est donc important de fidéliser les ressources humaines existantes dans nos organisations … et la question de leur rémunération (et de leur augmentation) se pose ! Nombreux politiques appellent déjà à une augmentation des salaires. L’impact sur les coûts des organisations sera lui aussi bien réel… en 2022 !
Dans le BTP, nous retrouvons cette même logique dans la gestion des sous-traitants. L’activité étant dynamique et les délais d’exécution toujours plus courts et exigeants, nous sommes confrontés à une pénurie de prestataires sur la majorité des corps d’état. Les pressions sur les délais de paiement, les approvisionnements et sur les hausses des tarifs de leur prestation sont réelles. Certains y verront un jeu opportuniste de surenchère, je préfère l’idée d’un rééquilibrage sain qui permettra à certains donneurs d’ordre de comprendre que les relations professionnelles doivent s’appuyer sur de la confiance, de la fidélité et de la visibilité. Nous le vérifions quotidiennement : les entrepreneurs privilégient la stabilité et des relations saines à ces jeux de surenchères.
A travers cette lecture, vous aurez compris que l’année 2022 semble être dans la même lignée que 2021 avec certaines nuances : la brutalité et l’effet répétitif des hausses de prix devraient se raréfier et nos entreprises sont aujourd’hui mieux préparées et organisées. L’arrivée de la RE2020 à partir de cet automne sera également un facteur aggravant des augmentations applicables en 2022. Le but de cette nouvelle norme étant de limiter l’empreinte carbone en termes de conception et de réalisation, avec une priorité donnée au bois. Sur le marché de la maison individuelle, les surcoûts de construction sont inévitables. Cependant, comme pour toute transition, un temps d’apprivoisement est nécessaire. Il permettra – à terme – d’industrialiser certains modes constructifs et d’optimiser la construction « made in RE2020 ».
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